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Je t'aime déjà, mon fils.

Prologue

 

Océane a onze mois. Elle tape des mains dans l’eau de son bain. Elle tape fort, elle crie. J’ai presque mal aux oreilles, mais je ris avec elle. Je la regarde tout éclabousser, elle attrape son petit poisson orange, joue avec trois minutes, puis change de jeu. Elle boit l’eau du bain, tousse, je lui dis non, elle secoue la tête en faisant non également avant d’éclater de rire.

 

C’est mon amour. L’amour de notre vie, notre tempête, notre guimauve, notre raison de vivre.

 

Ce soir, comme tous les autres soirs à bain, je lave ses cheveux, l’odeur du savon m’enivre au possible, j’aime son odeur de bébé. Et puis d’un coup pouf ! Je la recouvre d’eau. Elle adore ça. Elle en a sur le visage, elle ri

t d’autant plus fort. Comme d’habitude, jouer c’est bien, mais manger c’est mieux, elle demande à sortir. Elle râle.

Après un combat acharné, la voilà apprêtée. C’est une petite tornade notre puce, elle déteste rester immobile. Pour changer, je n’ai plus de pyjama propre. Tant pis, je n’allais tout de même pas lui mettre celui au pied percé ! Elle portera celui-ci, le blanc aux jolies montgolfières une troisième nuit, certaine qu’elle ne m’en voudra pas. À la hâte, je lance une machine programme court et arrive l’heure du repas.

C’est au début du bain que je me suis dit : veinarde, profite. Elle est magnifique ta fille, elle est en pleine santé, et elle tape dans l’eau. Écris ce que tant de couples traversent. Oh, pas un roman, non. Mais raconte votre histoire. Raconte combien tu ne t’es pas sentie légitime dans ce parcours jusqu’à la PMA et combien il a été tout de même difficile. Parce que chaque couple a son parcours propre et que ce sujet des plus tabous n’est pas souvent abordé, ce soir je l’aborde avec vous.

 

Concernant l’histoire, il n’y aura pas vingt-cinq jets. Il n’y en aura qu’un. Les mots sortiront ainsi de ma bouche et seront gravés dans le marbre. Parce que lorsqu’on a compris qu’avoir un bébé prendrait du temps, beaucoup de temps, il n’y a pas eu plusieurs versions de l’histoire, il n’y en a eu qu’une : les faits étaient ce qu’ils étaient et il fallait faire avec.

 

Bienvenue dans notre monde, celui des infertiles.


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

Se lancer dans le récit d’un combat.

 

Océane refuse qu’on lui donne à manger. Elle en met de partout, l’unique pyjama qui lui reste est déjà maculé de carotte malgré le bavoir. Elle déteste la carotte en plus. Depuis ses six mois, elle fait la grimace et pleure lorsqu’on essaie de lui en donner. Je n’insiste pas davantage et passe au dessert, du coing et de la pomme maison. Ça cogite grave dans mon esprit. Émile ne se doute de rien, focalisé sur le sol aux mille morceaux de pain, (expériences de la gravité oblige) et sur les cheveux de notre fille, délicieusement parfumés au savon de bébé et de carotte. Nous mangeons en même temps qu’elle. Émile a fait un pot-au-feu, il y en a pour la semaine. Je n’aime pas le pot-au-feu tout comme Océane n’aime pas les carottes. Je lorgne sur ma fourchette, encore et encore. Il faut que je le fasse. Mon histoire en tête, je n’ai rien à inventer, juste à la poser. Mais c’est intime, j’ignore si Émile serait d’accord avec l’idée. Il l’était, avant. Mais aujourd’hui ?

— Émile... Et si j’écrivais notre histoire ?

— C’est-à-dire ?

— Eh ben, si j’expliquais ce que ça fait d’être infertile...

— Qu’est-ce que les gens en ont à foutre ?

 

Merci, mon amour pour ton enthousiasme démesuré... J’adore lire les témoignages de vie pour ma part. Pas par voyeurisme, mais parce que ça me rapproche des êtres humains que je ne connais pas. À notre époque, chacun s’occupe de sa poire ou critique l’autre sur les réseaux sociaux. Enfin, je trouve... Les écrits permettent aussi d’être entendus, de ne pas être oubliés.

 

Je ne veux pas que mes bébés soient oubliés. Je ne veux pas que notre parcours soit banalisé même si je ne me sens pas encore totalement légitime dans mes plaintes. Mes plaintes ? Non. Ce ne sont pas des plaintes. Ce sont des faits. Point final. C’est dit, Émile n’est pas chaud à l’idée, tant pis, je sais qu’il aimera me lire une fois publiée.

 

Il faut commencer... Par où ? Le titre. Je t’aime déjà, mon fils. Voilà. C’est bien. Une page se tourne, je sais qu’à cet instant, je suis capable d’exprimer ce que je ressens sans colère ni regret. Il est l’heure.

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