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PRAESIDEES - DYSTOPIE

-Chapitre 1-

Karis

 

 

Dix-huit ans plus tard.

 

— Tu es prête, Karis ?

 

Le regard figé sur l’écran principal, une boule d’angoisse semble grandir en moi. Je n’ai strictement aucune envie de répondre à ma mère. Ses mots sont comme un écho à peine audible, lointains, et inaccessibles. Elle s’inquiète pour moi, c’est certain, mais mon anxiété personnelle est à un degré bien supérieur au sien, cela ne fait aucun doute. Rien ne peut égaler le tourbillon d’anxiété qui m’a happée d’une étreinte mortelle quelques heures plus tôt.

 

 Nassia, quant à elle, caresse son ventre rond, et semble véritablement heureuse de sa place dans notre société, tandis que je pourrais en vomir de dégoût. Elle porte les enfants des autres, voilà son destin. Comment peut-elle en être heureuse ? Du moins, je reformule ma question : comment peut-elle être heureuse, à 31 ans, qu’on lui impose ces grossesses ? Aucune idée. Elle se dit épanouie dans ce rôle, identiquement à l’épanouissement de mes parents Agriculteurs. Papa est bon chanteur, je l’aurais bien imaginé fouler les planches des Divertisseurs, mais là aussi, ce choix ne lui a jamais été accessible. Je reste convaincue que l’on pourrait être tellement plus que ce que l’on décide pour nous...

 

— Ashe serait très fier de toi, tu sais... murmure-t-elle sans quitter l’écran des yeux.

 

Le trémolo de sa voix trahit son émotion plus que palpable, et si le deuil de notre frère est fait depuis longtemps, pour elles deux, du moins, voire pour papa, en ce qui me concerne, ces trois dernières années ont été un véritable enfer. Ashe n’avait que vingt-cinq ans, comme moi aujourd’hui, lorsque la journée du choix nous l’a volé à tout jamais. Ce qui me rappelle à nos options de merde. Dix cases. Pas une de plus. Je connais cette foutue liste par cœur.

 

Les Agriculteurs. On pense à tort qu’ils passent leur temps à remuer la terre pour nous nourrir, mais ils occupent tout un tas de métiers liés à l’alimentation générale de notre ville. Papa travaille à la distribution alimentaire, alors que maman est en charge de vérifier que les sols sont fertiles et bio. D’autres encore travaillent en usine et fabriquent les produits industriels et je ne vous ferai pas la liste exhaustive de tous les corps de métier liés à la nourriture.

 

Et moi ? Eh bien, je sais que je ne veux pas finir là-dedans. Mon truc, c’est le dessin. Je veux être Divertiseuse et dessiner à longueur de journée.

 

Les Divertisseurs sont marrants, pleins de vie, avec une imagination débordante et une envie d’occuper les esprits, sans limites autres que le temps fixant les journées à 24 heures. Je veux ça pour mon existence. De la gaieté et de la joie. Dans une autre vie, j’aurais pensé différemment, mais là, on choisit notre métier pour tout le temps qu’on passera sur Terre, alors je choisis le plus cool. Enfin, je choisis d’être choisie... ce qui fait beaucoup trop de mots « choisis » pour être sereine. Je ne suis pas sereine. Je panique, même ! Je déteste la journée du choix !

 

Calme-toi... Tu ne peux rien contrôler, alors lâche prise.

Facile à dire...

 

Je hais la Présidente, elle est encore pire que sa défunte mère ! Certaines choses sont impardonnables... Un soldat éternue, une petite fille pleure, certains d’entre nous rigolent, loin de mes tourments. Comment peuvent-ils rire ?!

 

— Je suis certaine que tu vas finir Soigneuse, affirme Madame Soleil, ma sœur toute ronde.

 

Elle m’agace ! Je lui ai demandé quelque chose ?! Il ne me semble pas !

 

Les Soigneurs sont des gens bien, mais franchement, la vue du sang m’insupporte, je gerbe presque à chaque fois que quelqu’un se blesse, donc merci, mais non merci. Et puis franchement, j’ai trop de colère en moi, il se peut que je tue plutôt que je soigne. Volontairement. Je retire cette pensée : je ne tuerai jamais, je suis une gentille, moi. Il me reste quoi, finalement comme choix de non-choix ?

 

Les Scientifiques. C’est sans doute la catégorie que j’espère le plus après celle des Divertisseurs. Ils ne sont pas drôles, mais au moins, je ne serai ni Exclue ni Reproductrice, comme ma sœur. En ce qui concerne les Exclus, ça n’arrivera pas. Ils n’excluent jamais deux personnes d’une même famille, et Ashe l’a été. Je ne redoute donc vraiment pas ce choix-là. Et si j’étais une Distributrice ? L’énergie ? Vraiment ?! Pas ma tasse de thé. Éducatrice, à la rigueur. Je pense qu’enseigner pourrait me plaire.

 

— Arrête de penser, je te dis que tu seras Soigneuse.

 

Mes sourcils se battent en duel tant que je cogite, mais elle semble sereine pour moi. Je jure que ça me gonfle ! C’est d’une débilité sans nom cette journée du choix.

 

— Chut, franchement, tu me fous les glandes, grogné-je, toutes dents serrées.

— Karis, ton langage, je t’en prie. Et Nassia, laisse ta sœur tranquille. C’est un grand jour aujourd’hui pour toi, Karis, et ton père est désolé de ne pas être présent. J’espère que tu lui feras honneur.

Si elle savait à quel point les honorer m’emmerde, mais quelque chose de copieux... Papa a été hospitalisé avant-hier chez les Soigneurs, justement, suite à un accident de travail. Il est tombé dans l’escalier, et on a vraiment cru l’avoir perdu. Il se repose actuellement et attend avec impatience de connaître mon attribution. Lui a directement pensé que je serai une Protectrice. C’est bête comme idée, je n’ai absolument pas les épaules pour ça. Ils sont trop forts, peuvent nous tuer d’un regard, du moins, c’est ce qui se dit. Franchement, si le jour du choix me pousse dans cette voie, je ne croirai plus du tout au système. Faut dire que je n’y crois déjà plus tellement. Depuis Ashe...

 

Mes macabres pensées se voient interrompues par le bruit du haut-parleur qui grésille.

Ça y est, ça commence.

 

Garder une certaine contenance est indispensable. Je ne suis pas censée être en colère ni exprimer la moindre contrariété concernant notre système pourri. C’est déjà mal barré, rien qu’à cette pensée. J’y peux quoi, moi, si j’ai plutôt envie d’éventrer la Présidente que de l’aduler ? Un coup discret sur le bras par ma sœur me fait revenir parmi les vivants, encore une fois. Mon esprit vagabonde souvent pour m’aider à supporter notre quotidien. Papa dit de moi que je suis toujours dans la lune. Franchement, déjà on pourrait dire SUR la lune, car dedans, ce n’est pas trop possible, et ensuite, si je pouvais me barrer d’ici, je le ferai !

 

 En l’an 2035, la troisième guerre mondiale régnait encore et toujours. Les peuples étaient décimés, les viols et les meurtres de sang froids, en nombre incalculable. L’Homme en était à sa propre extinction, tant par la diminution de la population, que par son psychisme défectueux. C’est là que l’équipe de Natasha Miller, célèbre neuroscientifique mondialement reconnue a mis au point notre système pour désatrophier le système en place. PRAESIDEES a donc vu le jour...

 

Ils sont allés chercher le nom du nouveau système assez loin, puisqu’il s’agit de l’ancienne orthographe de présider, et que chaque lettre reprend les choix de cette foutue journée déterminante pour l’avenir de chacun. Dix lettres pour dix futurs. Le P de Protecteur. Le R de Reproducteur. Le A De Agriculteur, etc, etc.

 

Pour être certains de ne pas être mal choisis et donc bien orientés (selon eux), nous avons tout un tas de tests à passer durant des semaines avant le grand jour. J’ignore si je les ai passés haut la main ou si j’ai tout raté, ils ne nous disent rien avant aujourd’hui.

 

... Pour cette journée spéciale où vous trouverez toutes et tous votre place, je n’ai aucun doute sur la question.

 

Connasse, les Exclus ont-ils leur place ?! Vous les tuez ! C’est ce que j’aimerais lui hurler dessus, mais les mots restent dans ma bouche, dans mon cerveau, et sans aucun doute dans mes poings serrés. Je hais notre système, et si je me doute que l’avoir mis en place a stoppé les combats, même si j’ignore exactement comment, je ne le trouve pas efficace. Plutôt débile qu’efficace, en vrai. Sauf que je n’ai pas le droit de dire ce que je pense, quand bien même on nous dit de toujours être honnêtes... Suis pas tarée. Combien l’ont été, et ont disparu de la circulation ? Je ne compte plus.

 

La main de ma sœur vient recouvrir la mienne, la pression de celle-ci m’oblige à calmer mon état de nerfs absolu. Si Nassia a totalement conscience que je n’adhère pas au système, et qu’elle ne me dénonce pas comme elle le devrait, elle sait également qu’elle ne pourra pas toujours me protéger de moi-même. Un jour ou l’autre, je ferai un faux pas. De toute manière, même si je n’adhère pas à notre manière de vivre, je n’ai pas d’autres possibilités que de me soumettre au Conseil. Tiens, d’ailleurs, leur discours de propagande est enfin terminé. Beaucoup de monde est présent aujourd’hui. Les familles des deux cents jeunes de vingt-cinq ans qui se verront attribuer leur avenir, après cinq ans de formation générale. Pitié, pas Reproductrice. Ni Agricultrice. Ma langue claque sur mon palais, toc que j’ai depuis toujours et qui me vaut un nouveau regard réprobateur de Nassia. Je hausse les épaules et continue de plus belle. SI je n’ai même pas le droit de claquer de la langue, je bute du monde, merde !

 

— ... j’appelle Nash Trévor. Livia Dévis. Alisée Mest. Guillaume Ruiz. Peter Hui...

 

La présidente du conseil se tient maintenant debout devant son pupitre en continuant de dresser la liste des premiers appelés. Je n’ai rien loupé de son entrée présidentielle. C’est une belle femme brune aux yeux gris, impeccablement habillée dans sa tenue de Protectrice. Elle ressemble beaucoup à sa défunte mère, d’ailleurs. Des habits noirs, sans fioritures. Elle inspire la confiance et la sécurité à une majorité d’entre nous. Personnellement, elle me donne envie de lui mettre trois baffes, un jour sur deux. Ouais, je ne peux plus voir sa tronche en peinture. Elle représente tout ce que je déteste dans notre système oppressif et hypocrite.

 

Les vingt premiers appelés sont désormais en place sur l’estrade, le sourire aux lèvres. À bien les observer, aucun ne semble trembler ni espérer quoi que ce soit. Ils attendent simplement le verdict qui déterminera le reste de leur vie. C’est d’une tristesse sans nom. La Présidente leur sourit rapidement avant de leur annoncer le choix fait pour eux :

— Distributeurs. Félicitations, vous serez désormais les piliers nourriciers de notre système, s’extasie Élena, tandis qu’ils arborent un sourire satisfait de premiers de la classe.

— J’appelle maintenant David Eliott, Justine Kario, Alberta Morin, Hannah Martin...

 

Je reconnais rapidement Hannah. Une copine d’enfance que je n’ai pas revue depuis des années. Il faut dire que j’ai eu tendance à m’isoler depuis trois ans. Elle semble également sereine, stoïque, et sourit à la foule venue nous soutenir. C’est aussi une magnifique femme. Ses longs cheveux blonds ondulent en dessous de ses épaules, ses yeux bleus semblent être deux perles phosphorescentes, et ses traits fins lui donnent un air de poupée. Hannah a toujours été très belle. Les détailler ainsi, un par un m’aide à me calmer. Sauf que le verdict tombe vite :

— Vous êtes exclus.

 

Merde ! Tout mon corps trahit ce que je pense. C’est toujours un peu problématique, vu que l’exclusion de la société marque la fin de leur existence. Hannah ! Dix protecteurs les somment de les suivre, ils n’ont pas le choix, le public est muet comme des carpes. Dix d’entre nous ne pourront plus exister d’ici quelques heures. Comme ça. Arbitrairement, ou faussement dirigés par un système défaillant. Loin de mes préoccupations internes, la journée continue de se dérouler sans moi. Hannah n’a pas bronché, mais j’ai finalement deviné la peur dans son regard, lorsque les mots sont sortis de la bouche de la Présidente. Je ne peux rien faire pour lui venir en aide, même si mon corps voudrait courir et se battre. Dans ma tête, se joue souvent le scénario de ma vie, où je passe à l’acte et sauve le monde de la cruauté dans laquelle il est enfermé. Pourquoi cette envie reste mentale ? La question ne se pose même pas... Je ne sais pas combattre, je ferai rire tout le monde, avant d’être moi-même exclue, voire abattue sur place. Je ne suis ni courageuse ni téméraire. Néanmoins, l’agitation de cette annonce est vite dissipée par les soldats. Notre peuple n’a qu’à se positionner devant nous, et le calme revient. Seuls les pleurs de leurs familles sont tolérés. J’essaie de m’évader, faute de pouvoir intervenir, et mon corps risque de me lâcher tant il est tendu. Hannah, la fille qui me faisait mourir de rire enfant, va être tuée. Même si nous nous sommes perdues de vue, je ne l’ai jamais oubliée. Je resserre mes poings plus fort encore contre mes cuisses. Mon cœur palpite trop vite trop fort. Ce système me révolte, car il détruit des vies sans aucune pitié ! Et on ne peut rien faire contre ça ! Rien !

 

Interviens, Karis. Interviens ! hurle mon esprit. Libère-toi et envole-toi, comme disait souvent Ashe. C’est l’heure !

 

 Hannah disparaît pourtant, et la journée du choix continue sans que mes pieds n’aient bougé d’un millimètre. J’essuie mes larmes, tremblante, très vite rabrouée par ma sœur, mais je n’en ai rien à foutre. Hannah est ou sera bientôt un souvenir de notre société. Et c’est totalement injuste !

 

Les noms défilent, les choix tombent, et dans ma tête, c’est un bain de sang.

On ne va pas en faire tout un roman, c’est sans fin cette journée de merde. Parfois trois personnes sont appelées, parfois une, parfois trente. Les choix s’enchaînent, et comme c’est un jour de fête, ils font durer le "plaisir". Ils doivent vouloir me rendre dingue, car je suis la dernière à passer. J’avais bon espoir d’être oubliée, malheureusement non. J’aurais aimé passer en premier, ceci dit...

 

Chaque passage a secoué mon esprit de la pire des manières. Je n’ai pas eu à vivre cette journée depuis trois ans, alors aujourd’hui, j’ai souvent visualisé Ashe sur l’estrade derrière sa meurtrière. Un genre d’hallucination dont j’avais conscience qu’il n’était que le fruit de mon imagination. Son sourire, sa conviction de devenir Protecteur, et sa non-peur de finir exclu. Il disait qu’il avait réussi ses tests et que tout irait bien. Il affirmait également que les exclus étaient défectueux, un danger pour nous et pour eux-mêmes. Il avait tort. Si je ne pouvais pas douter de ses dires concernant les autres, lui n’était pas défectueux... Le choix du système l’a anéanti. Son regard empli d’incompréhension, de peurs et de doutes, je ne l’oublierai jamais. Remarque, si je finis Protectrice, je pourrai m’entraîner et tuer notre Présidente. J’en rêve... Malsain ? Je jure que si je le pouvais là, tout de suite, je l’étriperais à mains nues. Et en parlant d’elle, à l’entendre prononcer mon nom me débecte.

 

— Karis Laurens conclura cette journée des Choix. Je vous remercie pour votre présence aujourd’hui, et pour votre patience.

 

Je serre les dents, tente de défroncer les sourcils, arbore un sourire figé que j’aimerais plus naturel, incapable de faire lever mon cul. Pourquoi je suis toute seule, putain ?! Ce n’est pas assez stressant comme ça ?!

 

— Karis ? répète la Présidente en me fixant.

 

Un coup de coude dans les côtes et je me lève sans attendre, comme piquée au cul par une fourmi rouge. Nassia me gonfle autant que la Présidente, je crois ! Je lui lance un regard noir, mais abdique finalement, faute d’autres choix. Et si je tentais de la poignarder ? La Présidente, pas ma sœur, hein ! Sauf que nous sommes tous scannés à notre arrivée, et qu’aucune arme ne passe la sécurité... J’ai mes mains... Mais quoi en faire... Je bouge un orteil, j’ai vingt soldats sur moi.

 

— Vas-y, grogne ma sœur.

 

Ouais, la patience de la Présidente n’est pas sans fin, il faut que je bouge... Un temps infini m’est alors nécessaire pour retrouver l’estrade après que Nassia ait lâché ma main. Déglutir semble me demander un effort colossal, le sol se dérobe sous chacun de mes pas, et l’impression d’avoir les yeux de tout le monde, braqués sur moi, est insupportable. Ce n’est pas qu’une impression. Tout le monde me fixe. Même Ashe. Du moins, son spectre. J’aurais envie de courir à l’extérieur, m’enfuir et disparaître, mais d’une, je ne survivrai jamais sans l’aide de la société, et de deux, personne ne permettrait que cela arrive. Soi-disant que notre société actuelle et son fonctionnement empêchent les guerres. S’ils le disent... Je suis personnellement en guerre contre elle depuis trois ans, ou presque. Bon OK, il n’y a que moi qui le sais, mais quand même, je ne dois pas être la seule ! Si ?! Ça craindrait... Je me répète ? Je radote ? Je précise que je suis en train de rejoindre l’estrade de la mort ou de la fin de mes espoirs. Dans tous les cas, sauf si je termine Divertisseuse, je ne pourrai pas choisir ma vie. J’ai le droit de radoter, non ?!

 

Je suis désormais en place. Mon cœur tambourine à plein régime sous ma cage thoracique qui se soulève sans doute un peu trop rapidement.

 

Pitié, pas Agricultrice.

 

— Sachez que nous choisissons avec grande sagesse et beaucoup d’équité votre futur métier, reprend Elena. Majoritairement, le choix est évident, et les cinq années de formation précédent le jour de celui-ci oriente convenablement notre peuple. Mais parfois, les choix sont plus cornéliens. Ce fut malheureusement le cas pour Karis.

 

Je relève la tête, moi qui lorgnais le sol, et plante mon regard dans le sien, son image reportée sur un écran géant derrière le "public". Comment ça, difficile ? Pourquoi suis-je un cas cornélien ? Elle veut un pain dans sa cornée, cette vieille peau ?!

 

— Karis a de nombreuses qualités. Elle aurait pu être une merveilleuse Agricultrice.

 

Pitié... Tout sauf ça ! Mais elle a dit "aurait", donc je suis sauvée ! Non ? Mon esprit chambardé ne me laisse aucun répit. La Présidente prend son temps pour me disséquer l’esprit, je crois. Si ça se trouve, elle sait que je suis une vraie rebelle dans l’âme, et veut me dénoncer devant tout le monde. Faire de mon cas, un exemple. J’ai pourtant tout fait correctement, non ? Je n’ai jamais trahi mes pensées ! Et si elle savait tout de même, grâce aux tests ?! Et si je m’étais trahie toute seule ?! Je ne me souviens de rien, c’est un chaos sans fin, mon cerveau a préféré tout occulter pour me protéger. Mon cœur aurait lâché, je crois. Et l’autre dinde qui continue de me foutre le suspense dans la tronche !

 

— ... mais également une bonne Reproductrice. Elle aurait également sans doute excellé en science, mais malheureusement, aucun de ces choix n’avait un score assez élevé pour déterminer son avenir dans l’une de ces cases.

 

Ouf. Quoique, merde, pas de science pour moi... J’aspirais à un peu ça, mais surtout à Divertisseuse. Pitié, faites que ce soit le cas. J’ai sans doute des qualités pour vivre parmi eux, non ?!

 

— ... Quand nous ne pouvons pas facilement déterminer un Choix, nous prenons le temps de tout recalculer avec nos meilleurs scientifiques. Et parfois, le choix le plus évident n’est pas celui que nous espérions.

 

Une minute. Elle va où avec sa langue de vipère ?! Si elle prend le temps d’expliquer mon cas... Non... Mon esprit commence à comprendre quelque chose que je refusais de penser jusque-là. Comme dans un cauchemar sans fin, le couperet tombe :

— J’ai le regret d’annoncer que Karis Laurens a été exclue. L’effet est immédiat. Je sais ce que vous allez dire, et vous avez raison, lorsque plusieurs personnes d’une même famille sont défectueuses, nous n’avons malheureusement pas le choix. C’est rare et...

 

Sa voix se voile, je n’entends plus qu’un brouhaha de murmures sans fin. Puis le silence complet. Même mon cœur semble à l’arrêt. C’est une erreur... Une erreur ! Je cherche le regard de ma sœur, puis de ma mère sans les trouver. Glacée par le verdict, je vois trouble, je crois que je vais tomber au sol. Les exclus sont peu nombreux. Je me pensais intouchable, car cela ne tombe jamais deux fois sur une même famille. Jamais ! Le public le sait. On n’oublie jamais les familles ayant déjà vécu ce drame. Pourquoi je passe en dernier ?! Les exclus sont appelés en une fois pour éviter les débordements ! Elle a dû penser devoir se justifier sur mon cas, c’est sûr... Je dois faire un cauchemar... Sauf qu’avoir deux Protecteurs pour moi toute seule me fait rapidement comprendre que non, je ne rêve pas. Maman... Nassia. Reprenant conscience de ce qui vient de se passer, je hurle :

— Nassia !

 

Mais je n’obtiens aucune réponse. Seule la terreur dans son regard me laisse à penser que c’est aussi dramatique pour elle que pour moi. Et que dire de maman ? Elle est livide.

 

— Avance... ordonne l’un d’entre eux.

 

Plus rien ne semble vouloir rester en moi. Rien du tout. Finie la poupée qui se tait... Trois ans de retenue, trois ans de calme extérieur, trois ans à tenter de me changer pour redevenir la marionnette qu’ils souhaitaient. Fini la gentille petite Karis. J’explose :

— Toi, ferme bien ta gueule ! J’avance nulle part ! Je refuse ce choix de merde ! Élena Donovan ! hurlé-je en le repoussant.

 

Mon visage angélique s’est transformé en celui d’un démon possédé. Tout ce que je cachais aux yeux du plus grand nombre est aujourd’hui visible de tous. Je m’en moque ! Bande d’enfoirés !

 

Tout le monde me regarde, personne ne réagit jamais comme je viens de le faire. Pourquoi ?! J’ai quoi à perdre ?! Si la majorité des exclus acceptent leurs sorts sans rechigner, je n’en fais pas partie ! Et comment peut-on l’accepter, d’ailleurs ?! Comment peut-on accepter de mourir ?! Je n’ai strictement plus rien à risquer, en vrai ! Être exclue signifie préserver la pérennité de notre société. Et comme je n’estime pas qu’elle soit valable, autant faire le plus de bruit possible avant d’être arrachée à la vie :

— Donovan ! Dans cette vie ou la suivante, je te jure de revenir t’arracher les boyaux et de te les faire bouffer... Tu mérites bien plus que la mort ! Ouvrez tous les yeux ! Libérez...

 

Rideau. Le coup reçu dans les côtes m’envoie sur l’autre rivage, je crois mourir d’asphyxie. Mais quelle bande de...

 

Merdes...



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